Bâtiment et frugalité, la clé pour respecter les engagements environnementaux de la France ?

Mar 3, 2022 | Environnement, Low Carbon Construction

« Faire mieux avec moins », à l’heure où nous franchissons la 5ème limite planétaire et où les ressources de notre planète se font de plus en plus rares, le rêve de plus de sobriété intègre petit à petit tous les secteurs de notre société. Et si la frugalité était la réponse la plus adaptée pour décarboner nos bâtiments ?

De quoi parle-t-on ?

Sobriété, frugalité, low-tech, la réalité concrète de ces concepts semble difficile à appréhender, l’économie circulaire et ses piliers offrent un autre éclairage sur cet enjeu majeur de notre siècle. Selon l’ADEME, celle-ci se divise en trois domaines d’action et sept piliers, prenant en compte l’offre des acteurs économiques comme la demande ainsi que les comportements des consommateurs.

  • Extraction/exploitation et achats durables. Concernant le domaine de la construction, l’approvisionnement durable concerne principalement les matériaux en eux-mêmes, il s’agit donc, pour améliorer leur empreinte écologique, de réemployer au maximum ou, par défaut, de relocaliser la production et l’ancrer dans un territoire, au plus proche des consommateurs.
  • Ecoconception. Au-delà du réemploi, la conception d’un nouveau bâtiment, pour être frugale, doit rationner au maximum les matériaux et être adaptée à ses usages. La structure, par exemple, ne doit pas être surdimensionnée par rapport à la future utilisation du bâtiment.
  • Ecologie industrielle et territoriale. Un bâtiment n’apparaît pas ex nihilo, il est ancré dans un territoire. C’est donc au sein de celui-ci qu’il est nécessaire de trouver les matériaux et de revaloriser les déchets de la construction.
  • Economie de la fonctionnalité. Au lieu de produire un bien ou un service, l’économie de la fonctionnalité propose de donner une réponse à un besoin, et ainsi de se concentrer sur l’utilisation du bâtiment pour éviter l’obsolescence programmée, allonger les durées d’usages et mutualiser les espaces.
  • Consommation responsable. Consommer moins et consommer mieux voilà un pilier de la frugalité. Si nous prenons l’exemple du chauffage, la construction frugale du bâtiment devrait permettre de réduire drastiquement les factures, mais consommer de manière responsable c’est aussi prêter attention au bilan carbone de son fournisseur d’énergie.
  • Allongement de la durée d’usage. Concevoir et construire un bâtiment se planifie sur le temps long, pourquoi sa durée d’usage devrait-elle être conçue sur une échelle de temps réduite ? Réemploi, réparation et réutilisation sont ici les maître-mots.
  • Recyclage. Enfin, et en dernier recours, lorsque les matériaux ne sont plus utilisables comme tels et nécessitent une importante transformation pour être revalorisés, le recyclage intervient.

Bien que les conceptions de la frugalité soient plurielles et complémentaires, les piliers de l’économie circulaire offrent une réponse claire et cohérente à sa mise en place.

Qui sont les acteurs ?

Alors que la frugalité peut paraître bien éloignée de toute logique de rentabilité, ce n’est pas nécessairement le cas et certains acteurs économiques peuvent y trouver leur compte. En effet, les collectivités territoriales ainsi que certains groupes immobiliers ont aussi des avantages à construire et rénover de manière frugale pour, notamment réduire le coût et les contraintes de maintenance. Un constat partagé par bon nombre de bailleurs sociaux. Si ces derniers sont encore peu nombreux à revendiquer des démarches frugales, ils mettent en pratique depuis longtemps des solutions frugales adaptées à leurs locataires. Des notions de réparabilité ou de sobriété énergétique sont ainsi mises en œuvre dès qu’ils construisent ou rénovent des bâtiments.

Autre moteur réel de la frugalité, le secteur militant de la construction durable a investi cet enjeu, notamment à travers la parution du Manifeste de la Frugalité Heureuse et Créative, rassemblant plus de 15 000 professionnels du secteur de la construction signataires du manifeste. Comme tous les secteurs disruptifs de l’économie traditionnelle, les pionniers sont très attachés à l’économie sociale et solidaire, ainsi qu’à l’économie de proximité.

Quels sont les enjeux ?

Le premier obstacle qu’on peut identifier à la massification des pratiques frugales est l’argument économique : la frugalité n’est pas rentable dans une conception traditionnelle de l’économie. Produire moins, réemployer, réhabiliter, ces actions sont moins créatrices de bénéfices que la construction standard de bâtiments neufs. Il est temps de repenser notre chaîne de valeurs et de prendre en compte les bénéfices environnementaux dans notre économie !

Au-delà de la rentabilité, qui peut freiner les ambitions du mouvement de la frugalité, les grands enjeux sont aujourd’hui culturels voire philosophiques. Pour revenir à une évidence sur la frugalité, son application au domaine de la construction peut être résumée à un simple axiome : être frugal, c’est ne pas construire. En ayant dit cela, les applications concrètes sont nombreuses. En effet, il s’agit d’un changement de paradigme dans l’écosystème du BTP : il faudrait sortir de la logique commerciale d’obsolescence programmée dont les limites sont visibles dans tous les aspects de la société. Il apparait donc important d’impliquer tous les acteurs de la chaine de valeur, notamment les industriels. Si l’écoconception des produits existe, permettant notamment à des acteurs de renom de garder une longueur d’avance à l’heure où le hard discount gagne le bâtiment, elle se doit d’être valorisée davantage. Par ailleurs, la disponibilité sur le marché français de certaines références chez des acteurs belges ou allemands n’est pas toujours évidente, transformant parfois les démarches frugales en véritable chasse aux équipements.

Enfin, la frugalité nécessite de repenser notre façon de travailler. Son écosystème est, pour l’instant, très divers, et est majoritairement composé de petites structures. Créer de la cohésion pour faire éclore un projet frugal requiert une collaboration importante, faire travailler ensemble des structures hétéroclites, voilà un dernier défi pour la frugalité !

Au-delà de la multiplication des enjeux, nous voyons bien que la frugalité, plus qu’un écosystème cohérent, est en fait un ensemble de pratiques diffuses dont certaines sont déjà bien installées ou répondent à des équations économiques bien particulières. Le futur semble donc se présenter sous de bons auspices.

Une émission animée par Fabrice Cousté

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